Prétexte éditeur
Revue
Edition

Présentation
La critique littéraire
Les traductions
Presse index
Catalogue prétexte
Les entretiens
Les bibliographies
Les liens
Plan du site

Le critique littéraireeMail
 La critique littéraire > Articles : fr > Jude Stéfan

Jude Stéfan
Pour un lyrisme bas
(Prétexte 20)


        «Poésie noire, poésie blanche, poésie pure, poésie pire - mais aussi : poésie jaune. L'exercice du rire, du sexe, de l'écriture n'est pas libre, qu'une secrète réprobation rend malaisé ; le dégoût d'une activité mène à sa ruine, et s'il est un humour dit noir parce que sans aucun doute uni au funèbre de la comédie, il est une activité d'écrire qui permet de dire de nombreux vivants-écrivants qu'ils ont écrits jaune.» Jude Stéfan, Chroniques catoniques 1

Elégiades

«Tout n'a-t-il pas lieu sur le fond noir de la mort ?»2 Depuis ses premiers livres de vers, Cyprès3 et Libères, Jude Stéfan compose sa poésie contre l'élégie. Pratiquant l'élégie à rebours, le poète d'A la vieille Parque se situe dans une proximité jalouse et polémique envers ce genre qui - trop souvent déporté du côté d'une fadeur mièvre - tend(rait) à neutraliser par des chants consolants la perte et le manque où s'origine douloureusement sa parole endeuillée. Il ne s'agit en effet ni de «gémir sur un cercueil» (comme «la plaintive élégie, en longs habits de deuil» allégorisée par Boileau), ni d'emprunter à Chénier la «grâce touchante» de «la tendre élégie» qui lève «au ciel ses humides regards». Avec une énergie paradoxalement extraite du désespoir lui-même, Jude Stéfan tente, par un usage renouvelé du vers, de mesurer l'ampleur du désastre ; d'inscrire dans la langue le ratage de l'expérience ; de faire dé-chanter un lyrisme de la vie catastrophée. Soulignant que, vouée à la crevaison, cette oeuvre célèbre «la flagrante, révoltante, accablante chiennerie de cette existence qui n'a de sens et d'issue que la mort, ne tolère de consolation ou de remèdes fugitifs que l'étreinte amoureuse», Jacques Réda confie, dans un récent hommage, son admiration pour des «poèmes que retraverse à chaque fois à neuf l'immémorial tremblement tragique et sensuel de l'élégie».4 Conscient que le recueil titré significativement Élégiades5 «travaille la même matière cent fois donnée : «Poésie et Mort. «Poésie noire», comme il dit», Michel Sicard propose d'analyser ainsi «le paradoxe du titre» qui, en effet, «donne un suffixe à cette tendance élégiaque, lyrique» : «Faire les épopées de l'élégie, des élégies possibles, faire l'épopée globale - passage à l'universel - de cette tendance à la complainte et au ressouvenir».6 Radicalisant la «Poésie malgré» déjà revendiquée par Stances7, les élégiades désignent dans le recueil de 1993 ces «élégantes élégies suffixées désuètes» affirmant - «oui, la mort devant» - sur un mode comique, repris des foirades et mirlitonades beckettiennes, le tragique de notre condition. Ne voulant pas me précipiter vers une définition qui ne pourrait être que prématurée de la poétique de l'élégie telle que continue de la pratiquer aujourd'hui Jude Stéfan, je me contenterai de rouvrir les quatre sections8 composant Élégiades pour interroger la signification en suivant - «adieu vieilles stances» - le mouvement propre à la forme de cette poésie noire. 

Quatrièmes Dévotions

Le lyrisme critique de cette poésie revendiquant consciemment sa situation dans la modernité commence par s'inventer (de Tibulle à Réda) une singulière généalogie de la parole élégiaque. Étrange famille d'ancêtres et de contemporains où, dans une intempestive proximité, voisinent Tibulle, Ovide et Horace ; Sponde, Ronsard et Théophile (de Viau) - mais aussi Le Tasse et Tou Fou ; Flaubert et S. Butler ; Ch. Rosetti et Th. Bernard9. Un lyrisme critique, donc, tente de dire - expériences consécutives au malheur d'être né - la disparition et le chagrin en évitant le pathos propre aux complaisances de l'épanchement (trop) subjectif. Non sans cocasserie, la distance humoristique permet de répliquer aux angoisses d'un poète effaré par la finitude : «un bouquet de persil dans les oreilles du boeuf / fait attendre partout la mort avec calme». Dédiée «à Tou Fou»10, la même élégiade s'achève en convoquant, communauté mélancolique, des sujets qui se ressemblent dans leur manière de résister aux pressions de la dépression : «nous les fatigués tous de la vie / à conjurer la visite des larmes» (p. 14). Selon cet évangile de la mauvaise nouvelle, vivre, c'est fréquenter «l'auberge / ici bas des péchés où l'on urine / fiente et ricane avec femmes réglée» (p. 15). Une poétique hargneusement expressionniste exacerbe la nausée ressentie devant «l'écÏurante populace dominicale» (p. 16) : «les graillonneux humains» (ibid.) - c'est-à-dire «tous les cons de la terre» (p. 26). Revisitant le baroquisme d'un Sponde («qui n'avai/t/ de recours qu'en Rien»), Stéfan calcule «la chance de la poésie-contre» (ibid.). Masquant sous des imprécations rageuses l'inguérissable nostalgie de «l' / enfance lointaine aux gants de filoselle», le poète figure, entre crudité et gravité, «la vie un fil de lin / après 5000 orgasmes rompu à la fin» (p. 17). Mêlant le sublime et l'obscène, cette éducation sentimentale propose une approche à la fois pathétique et grotesque du libertinage : «ma peau ma peau toutes la convoitèrent / jusqu'à l'extrême âge» (p. 14). «Voués à crever», nos «squelettes» (p. 22) recherchent frénétiquement une jouissance sans lendemain - tel Flaubert qu'un poème montre en train de «boire / à même la motte des filles» (p. 20). Sourdement parasitée par des micro-récits autobiographiques, cette poésie de la condition humaine fait aussi de brefs aveux sur une figure féminine : «Emma Bova la bovine la divine / en blonde Camier réincarnée» (p 20) ; sur l'emploi du temps : «la fin / de ma vie bordelière menée en soins palliatifs» (p. 22) ; sur l'ennui provincial : «les barreaux d'alexandrins qui encagent / le poète rural en ses cafés d'enfer / sous pluie violante des cimetières» (p. 24). Section liminaire du recueil, Quatrièmes Dévotions s'achève ironiquement par un tombeau dédié, en sous-titre, (au dit S.) : «Ci-gît J. S. esprit lugubre à parole / rare qui ne goûtera du pain des anges» (p. 28). L'élégie ne chante plus le regret (des dames) du temps jadis, mais anticipe, écriture ant - hume, la disparition du poète : «où sera Stéfan le feu - non ce qui brûle !»

Flores

Comme l'écrit Michel Sicard, «la seconde partie, Flores, fait défiler jeunes et vieilles beautés sous formes de fleurs onctueuses et épanouies.» Remotivant le topos poétique, Stéfan fait de la fleur «une façon de désigner la femme en la dénudant, offrant ses tendres muqueuses en extériorité»11. Érotisme «à fleur d'yeux», «à fleur de peau» (p. 32), l'élégiade inscrit dans la langue l'énergie d'une jouissance amoureuse qui semble tirer son intensité du manque et de la furtivité propres au désir. Tel ce «corps à coeur», par exemple, évoqué dans un poème qui, dédié à Marina Kardina, voudrait garder mémoire des passions passées : «ma chère frêle fragile slavonne avant / les années filantes / la fin de mes feux» (p. 36)12. Dans un monde où le Mal fait rage, la vie sexuelle offre, éphémères frissons, ses fleurs. C'est la morale baudelairienne d'un poète concluant le cycle d'Emma sur la mort (finalement...) plus forte que l'amour : «j'ai revu notre double visage avant ravage / quand on dira : "il a perdu tous ses ongles" / dans l'horreur de la dernière ligne droite / au sixième Age» (p. 39). L'érotisme dont, avec une fureur savante, reste capable une «fin de vie» (p. 40) consume cette «écriture tremblée» (p. 39) qui voudrait, au plus vif, saisir le désir : «pour mieux tout debout nous goûter / ébouriffant ta toison empoignant / puis la main qui perce ta source» (p. 41). «Flore à fleur de lèvres» (p. 45) la femme favorise cette «outrance» où, jouissance spasmodique, la vie fait l'amour à mort : «ils se cherchent outre le corps / en cris en silence d'extase Il / raidit longtemps son âme en elle / tous cheveux renversés» (p. 49). Si la pudeur du poète, entre outrage et outrance, sait dire simplement la merveille du «plus beau jour de la vie enfin venu», oui, évoquer sobrement «le lent travail de tendresse» (p. 47), son nihilisme douloureux préfèrera finir cette revue des fleurs en se souvenant, une dernière fois, de «ces vieilles et ces vierges / ces couchées et ces flâneuses ces trompeuses / enfanteuses de malheur» (p. 51).

Virgultes

«Que tout lyrisme soit bas comme l'ici» : cette injonction, citée de Sabas, tient lieu de poétique paratextuelle au début de Virgultes13, troisième section d'Élégiades - recueil voué à formuler l'«amer savoir» (aurait dit Baudelaire...) de nos vies en souffrance. Ce que, et dans un autre contexte, Michel Deguy (un poète admiré, comme on sait, de Jude Stéfan) a nommé «l'incurable et générale tristesse»14 se révèle, en dernière analyse, la matière même de l'expérience exprimée par un lyrisme élégiaque récitant les misères de notre ici-bas, les hantises de la «vie dénaturée» (p. 61), «le désastre des commencements» (p. 64). «S'endormir / dans le parfum d'absente» (p. 66) devient la vocation de ce poète célibataire qui, cherchant l'amour chez les putes comme chez les mineures, survit en marge des conventions et usages - avec, comme horizon, «ce grand ciel de la mort-devant» (p. 69). «Oui, la mort devant» : telle est l'affirmation paradoxale d'une élégie qui, pour devenir élégiade, met en oeuvre l'énergie du négatif, la puissance de la décomposition, la vitalité du pourrissement. Imaginant sa «maison à vendre sans chien ni chat / musique ni gestes regards ni ombres», le poète (qui voit ses «livres à la pluie livrés»...) anticipe cette scène dernière15 avec son cadavre : «mains parées contre la fin / noire chemise à tout venant ouverte la / dernière mouche disparue à la Saint-Crépin» (p. 71). Elégiades met à nu ce lyrisme bas qui, à ras de prose, produit une «poésie noire» où le je stéfanien invoque ainsi la «déesse Prosa» : «implore-moi les trois dieux véraces / Abattoir, Morgue, Bordel / que je quitte cette chierie intestat» (p. 73).

Poésie noire

Élégiades, il convient maintenant de le souligner, donne un certain congé à l'élégie - donne congé à une certaine élégie. Le premier poème de la section significativement titrée Poésie noire commence d'ailleurs ainsi : «adieu vieilles stances» (p. 77). Obscurs et énigmatiques, les éclats de vers qui, selon une typographie à chaque fois spécifique, composent les élégiades rappellent, par la résistance qu'ils offrent au lecteur, ce que fut pour le poète «l'effort de se cloitrer à / écrire» (p. 79). Loin des effusions propres au dégorgement d'un coeur ivre de sa géniale sensibilité, le lyrisme bas que recherche Stéfan correspond à la situation maudite de l'homme sur cette terre : «en prévision des enfers les bas-lieux / les hantâmes» (p. 80). «Ami nous qui n'aurons jamais vécu» (p. 81) : cette adresse au lecteur rappelle quelle ordinaire dépossession préside à l'existence humaine (toujours déjà...) structurée par un programme d'éducation qui transforme perversement l'enfance en «adultisme»16. L'élégiade me paraît donner voix à ce que, à la fin presque de son itinéraire poétique, Baudelaire nomma «les plaintes d'un Icare». Ecrire devient un exercice de la chute - «quand il pleut sur l'aile des anges / d'une espèce de paradis tombés en enfer» (p. 82). «Ne cherchez plus mon coeur» : telle serait, dans la version stéfanienne du spleen baudelairien, la formule du lyrisme bas.17 Autopsie du corps transi d'amour, l'élégiade enregistre le ravage propre aux passions enragées. «Mon cÏur mis en cendres par les flammes / je vous l'apportrais sous forme de fleurs» (p. 84). Pas d'autre testament, cent cinquante ans après Les Fleurs du Mal, pour «les poètes sexagénaires esquintés / élongés chauvis» (p. 85) qui, partout, déchiffrent les «signes de la mort» (p. 86). «L'odeur cadavéreuse» empuantit déjà ce lit d'amour où, «au plein suc de la chair même», la «jeunesse florée» d'une amante aida (c'est son mot...) un poète durablement traumatisé par «notre sanglante poussive naissance» (p. 87). L'optique hallucinée de cette «poésie noire» noircit encore - expressionnisme oblige ! - le tableau d'une décrépitude généralisée où «l'homme au crachin en bave» : «déjà le moribond / fait son geste puéril d'adieu / vieillard enfant assassiné par le bon dieu / un malade penché comme un chômeur à l'hôpital / dans sa vie d'inattente» (p. 91). Un portrait de l'artiste en cadavre obsède ces élégiades où le poète se peint soit en train de faire l'amour, soit en train de faire le mort : «il / repose assis aux couleurs de vie / gris cendre sur tombes de guingois / volontiers il s'y étendrait éternel / et froid ami des caveaux & noms creux» (p. 95).

Deux Méditations

Deux méditations inachèvent cette plainte énergiquement poussée contre la condition humaine par un poète refusant, et jusqu'aux derniers jours, d'être né18. Le lyrisme bas de l'élégiade enterre cette «Vie de Médiocre» dans l'allégorie de laquelle le lecteur reconnaît, fraternellement, le «vide médiocre» qui caractérise(rait) l'âge d'homme (p. 99). Le lyrisme bas de l'élégiade donne le ton des éducations sentimentales où rien ne se passe : scènes de l'existence ratée... «Adieu cocottes si gaies dandys putes dégénérés esthétes» : ce vers suffira pour des «funérailles avec peu d'illusion» (p. 100). Autour du cadavre que je suis déjà comme autour de la dépouille d'un proche, «la vie continue de coudre ses fanfreluches» (p. 103). Un livre comme Élégiades est de ceux qui font face à cette idiotie des choses donnant à la vie son chagrin impersonnel. «Une éminente nullité / dans l'irréversible inconsolation» (p. 104) : tel sera le dernier mot d'une poésie tournant le pire en dérision19 pour mieux rappeler que, soustrait aux prestiges du chant, seul un lyrisme syncopé capte les dissonances de notre ici-bas. Élégiades : élégies composées «jusqu'à plus souffle en mystère de conclusion» (p. 11). Compromis dans la bassesse d'un monde non rédimé, le lyrisme critique de Jude Stéfan prend acte de ce qu'«il n'y a pas de quoi chanter» : «Sauf naïveté ou ignorance des nouvelles le poète a raccroché sa lyre, il écrit sans instrument que ses propres organes, n'exalte que son langage au risque d'emphase ou d'autolalie. Le désastre ou la modestie impliquent de ne plus hausser le ton.»20 
- Élégiades : élégies pour un lyrisme bas ?

Yves Charnet

Notes 
1 . Jude Stéfan, Chroniques catoniques, La Table Ronde, coll. "La Petite Vermillon", 1996, p. 147. 
2 . Libères, Gallimard, coll. "Le Chemin", 1970, p. 16. 
3 . Jude Stéfan, Cyprès, Gallimard, coll. "Le Chemin", 1967. Ecrivant son admirative émotion pour, "savante et nue, tout à fait isolée et pourtant d'une irrécusable modernité", cette nouvelle voix de la poésie française des années 70, Jacques Borel se montre, d'entrée de jeu, sensible à l'affinité du geste stéfanien avec un geste élégiaque hésitant entre déploration de la mort et célébration de l'amour : «Sur ce "fond... noir de la mort", l'amour, essentiellement l'amour charnel, tout menacé qu'il est par une même désagrégation et comme déjà plus qu'à demi happé par elle, apparaît pourtant comme la seule "rémission du temps".» Cf, La Nouvelle Revue française, Gallimard, n° 221, juillet 1970. 
4 . Jacques Réda, Le Nom et la formule, in Jude Stéfan, cahier dirigé par Tristan Hordé, Le Temps qu'il fait, 1993, p. 59. Dans une analyse pénétrante de l'ambiguïté propre à l'écriture stéfanienne, Réda fait l'hypothèse que, «retenu comme élément et signe spécifique du poème, du langage poétique dont à l'occasion il corrige les écarts, le vers simule une harmonie qu'il a aussi pour mission de détraquer. Pour tout dire, cette équivoque traduit à sa façon l'attitude double, dissociée, d'un poète partagé entre un besoin d'effusion élégiaque et un rejet compulsif de cet abandon» (ibid., p. 61). 
5 . Elégiades, Gallimard, 1993. Les références aux différents poèmes extraits de ce recueil seront désormais données dans le corps même de notre étude. 
6 . Michel Sicard, Jude Stéfan, Seghers, coll. "Poètes d'aujourd'hui", 1994, p 143 et p. 146. 
7 . Jude Stéfan, Stances, Le Temps qu'il fait, 1991. 
8 . Michel Sicard a étudié cette structuration propre à maints recueils du poète : «1°) l'enfance heureuse, le paradis imaginaire avec les soeurs ; 2°) les amours idylliques ou putanesques ; 3°) le temps : les saisons, les âges ; 4°) la mort. La rythmique du recueil reste la même, mais un peu décalée, avec une double coda qui l'amplifie ("deux méditations", comme pour ne pas manquer la référence répulsive à Lamartine)» (op. cit., p. 146-147). 
9 . Pour l'analyse de ce dispositif, je me permets de renvoyer le lecteur aux remarques pertinentes de Michel Sicard : «Le premier volet du recueil (ils sont quatre) rend hommage à des gourous littéraires, certains très connus, d'autres plus secrets. Comme l'indique très précisément le sous-titre "dévotions", ce sont des saints de la littérature qu'on vénère» (ibid., p. 145). 
10 . Dans Prosopées (Gallimard, 1995), Stéfan s'identifiera significativement à cet élégiaque chinois : «tel fut mon songe au dernier article / moi poète Tout-Fou / inventeur du dé-lyre / avant la Croix d'ignominie» (p. 82). 
11 . Op. cit., p. 149-152. 
12 . Commentant ce défilé des femmes aimées, Michel Sicard définit l'élégie stéfanienne comme «une petite machine à se souvenir, à faire détour-retour et labyrinthe, à différer l'instant de l'oubli. Poésie-toujours, qui se souvient d'elle-même et des éloges, des toasts qu'elle a portés. Poésie-souvent, pour que dure le temps : tressage de mémoire. Jamais de temps clos chez Stéfan : de celui qui cloue et fige, mais l'éternel retour des belles en leur passé irrésolu» (ibid., p. 153). 
13 . Pour l'interprétation (épineuse...) de ce titre, on se reportera notamment aux gloses de Michel Sicard : «Virgultes , carambolage de mots : forme francisée à la fois du latin virgulta : petites branches, menues branches, jeunes pousses, boutures, mais aussi branchages, broussailles, ronces ... /.../ Les "virgultes" entraînent bifurcations insensées et proliférations constantes. Dans "virgultes" on entend ult, le phonème de l'ultime : oui, la mort-devant / en élégantes élégies suffixées désuètes» (ibid., p. 154). 
14 . Michel Deguy, Gisants, Gallimard, 1985, p. 50. 
15 . Récemment paru, un recueil de nouvelles s'intitule significativement Scènes dernières - et présente des "Histoires de vie-mort" (Champ Vallon, coll. "Recueil", 1995).
16 . Jude Stéfan a récemment employé ce néologisme pour désigner son refus de "ce monde qui attend les Adolescents, la Médiocrité à incarner, de gré ou de force, puis l'obéissance à la Mort, seuls les animaux, les fous, les fleurs, les filles, les arbres, quelques êtres restant intéressants" (Variété VI, Le Temps qu'il fait, 1995, p. 35).
17 . Marchant "sur les traces d'Icare", Jean-Marie Gleize me paraît rejoindre, dans son désir d'«accéder au principe de nudité intégrale», ce lyrisme bas dont Elégiades constitue le pôle expressionniste. La poésie du littéral s'avance «pour : gagner le fond, cracher Dieu, marcher vers un arbre, crever l'écran, lécher le sexe jusqu'au bout, tenir la ligne droite, faire le sol plat, insulter la mort, sans fin» (Le Principe de nudité intégrale, Manifestes, Seuil, coll. "Fiction & Cie", 1995, p. 11).
18 . Dans son article fondatateur (qu'il faudrait prendre le temps de relire en entier) Jacques Borel analysait ainsi la manière dont Stéfan, dans l'amour, montrait «ressentiment et aspiration intimement conjugués» : «le cri fondamental, c'est celui de Job sur son fumier clamant "l'horreur une fois d'être né" et l'étouffer, l'homme ne le peut justement que dans ce corps béni et maudit, dans cette brève mort mimée au lieu-même où il a pris vie, dans la nuit de ce ventre où retourner et s'engloutir comme dans cette autre nuit bientôt où pareillement "retrouver l'heur de n'être jamais né" (cf., notamment, Libères, p. 78 et 98)» (La NRF, op. cit.).
19 . Poésie pire, tel est précisément le titre de la section inaugurale de Prosopées, recueil de "non-poésie" qui prend la suite d'Élégiades.
20 . Répondant en 1984 à une enquête concernant cette notion, Stéfan définissait ainsi la tradition du "haut" lyrisme avec lequel toute sa pratique poétique cherche à rompre : «On en dirait ce qu'on voudrait : accompagnement syllabique de musique, pouvoir d'expression personnel distinguable de la plainte - mais la strophe lyrique lamartinienne-et-après est aussi bien élégiaque, chant du corps...» Cf, Jude Stéfan, cahier dirigé par Tristan Hordé (op. cit., p. 151).

> Retour au sommaire : "Articles : fr"
 
 ©