«Il y a des maladies qui vont vers la mort, dirait-il, et d'autres vers le rétablissement. Il ne faudra pas longtemps pour que nous sachions quel est le cas ici, et quand nous le saurons, nous saurons aussi comment agir. Ah, ces hommes ! Soit ils prennent la responsabilité de tout, soit ils ne prennent la responsabilité de rien».
Paru aux États-Unis en 1981, ce roman de Russel Banks se présente sous une forme un peu particulière. Il regroupe treize chapitres qui, sortis de leur contexte, pourraient être lus indépendamment les uns des autres, mais qui ne prennent leur véritable ampleur que grâce à leur mutuelle proximité. On retrouve ici le procédé de mise en abîme métafictionnelle fréquemment employé chez Banks (v. Hamilton Stark, par exemple). Ainsi différents niveaux d'apparition des personnages se superposent-ils, et ce selon des périodes de temps différentes : chacun des personnages étant au centre d'un récit plus ou moins long, et chacun d'eux participant, en tant que personnage secondaire, ou tertiaire, à un ou plusieurs des parties qui composent l'ensemble du livre. Seule unité qui permette la réunion de tous les protagonistes, celle du lieu : un parc à caravannes situé dans le New Hampshire, état de prédilection où Banks situe l'essentiel de sa production romanesque. Au coeur de ce parc, micro-société qui prend en son sein les délaissés du système américain (pauvres de naissance n'ayant pas accédés à la middle class, êtres de sexe et de couleur de peau différents en rupture de banc, retraités de l'armée, ou jeunes marginaux) les occupants des caravannes tissent des liens fragiles entre eux, laissent libre-cours à leurs frustrations, leurs errances, leurs hantises, s'enferment dans leur solitude ou s'empêtrent dans leur destinée malheureuse. «Ces voix nous viennent de l'envers du monde américain /.../ et sont des manières d'épitaphes, sourdent des morts et des vivants, mais aussi complètent, se détruisent, s'étayent ou se sabotent les uns les autres par collisions de points de vue» (M.Chénetier). La morosité ambiante qu'implique de telles dispositions ne parvient pas cependant à faire verser le texte de Banks dans l'écueil d'un sentimentalisme politcally correct, ni dans l'inventaire journalistique des us et coutumes de cette frange de la société. Bien au contraire, l'anecdotique est mis au service d'une réflexion plus profonde tant sur les comportements humains (de quelque classe sociale que ce soit) que sur les modes de langage qui créent, démontent ou détruisent la communication entre les hommes ; le non-dit s'installe à la perfection dans le texte et l'humour (voir notamment le dialogue de sourds entre Flora Pease et Dewey Knox dans la première section du livre, ou encore les hallucinations de Noni Hubner qui entend Jésus lui parler au téléphone) vient ôter au lecteur toute possibilité d'apitoiement sur le sort des personnages sans pour autant invalider le drame de certaines situations. Banks nous donne donc à lire une de ses tragi-comédies dont il a le secret et qui le place parmi les prosateurs américains contemporains les plus intéressants.
Lionel Destremau
Russel Banks cf.notice de l'auteur