Mahmoud Darwich | Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude Actes Sud, 1995 (Prétexte 9) |
e cheminement en poésie de Mahmoud Darwich s'est trouvé étroitement associé à l'Histoire du peuple palestinien. Né dans un village de Galilée, il a, dès 1948, partagé l'exil des siens : Le Caire, Beyrouth, Tunis... Cette voix, si populaire qu'elle est capable dans le monde arabe de réunir des foules à l'occasion de lectures, ne s'est pas effacée derrière un rôle de porte-parole. Elle a conservé son élocution intime, un lyrisme aux tonalités élégiaques. Et, au moment de la création d'un Etat palestinien, se produisent la fin d'une conjonction et un retrait affirmé du poète. Il lui apparaît alors que l'errance lui était constitutive. Aussi Mahmoud Darwich dans Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ? s'interroge-t-il sur la possibilité même du retour, ainsi que sur sa position et son identité de poète. Le retour aurait signifié que l'on pût tout naturellement renouer avec les habitudes anciennes. Le poète s'était forgé une sorte d'attitude de la mémoire : l'oubli recouvrait les souvenirs de manière à les préserver intacts. Mais la violence de l'invasion, le peu de temps qui avait été donné pour vivre dans le lieu de l'origine, tout cela compromet la reverdie : «C'est un présent que le passé ne rejoint pas». Aussi le poète ne s'abandonne-t-il pas à la nostalgie qui fige le vivant dans la ressemblance des choses perdues, disposition riche en aveuglements politiques et religieux. Si de nombreux poèmes évoquent les êtres et les lieux associés au passé, c'est toujours pour les rendre à leur silence ou à leur présence discordante : «Et mon grand-père est toujours plus éloigné», écrit-il. A l'encontre des crispations identitaires et des clichés médiatiques, Darwich revendique un statut spécifique du poète : une identité édénique, d'après le Jugement Dernier. Il retournerait paradoxalement à un lieu sans mémoire héritée, disponible à l'évidence du quotidien comme à la multiplicité culturelle : «Ainsi qu'une fenêtre, j'ouvre sur ce que je veux». Il ne quitte toutefois pas le modèle de la vie au désert. Et, aux mythes grecs ou romains de la fondation (Ulysse et Enée), il préfère la poésie anté-islamique, les mu'allaquat, «Poèmes suspendus dans le livre de sable / Du passé», qui célèbrent l'errance et les épiphanies de l'amour. Le poète confirme sa liberté.
Stéphane Baquey Mahmoud Darwich cf.notice de l'auteur
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