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 La critique littéraire > Notes de lecture: et > Luiza Neto Jorge

Luiza Neto Jorge
Par le feu
Le passeur, 1996
(Prétexte 18/19)


  propos de l'impact de la poésie de Luiza Neto Jorge, depuis la publication de ses premiers recueils dans les années 60, José Augusto Seabra insiste dans sa préface à Par le feu sur l'importance de la poétesse dans le paysage littéraire portugais : on «peut mesurer maintenant tout ce que la poésie portugaise des dernières décades lui doit encore, malgré son sillage discret, presque effacé par le bruit et la fureur des circonstances. Elle l'a aidée subtilement à se libérer des «sites assiégés» où quelques impasses symétriques l'enfermaient, au tournant de ce demi-siècle». De fait, Luiza Neto Jorge a fait partie de ce que l'on a nommé le groupe Poesia 61 qui, autour d'auteurs tels que Maria Teresa Horta ou encore Herberto Helder, a cherché à renouveler le langage poétique en explorant de nouvelles potentialités grammaticales ou sémantiques, progressivement détachées à l'intérieur du discours ou dans son inscription sur la page, des structures jusque là dominantes d'une poésie traditionnelle attachée au «référent».
De cette recherche, Luiza Neto Jorge a tiré une forme de poésie qui lui est propre, privilégiant l'incise et l'ellipse dramatique et jouant sur des combinaisons rythmiques qui se superposent ou se contredisent : «je ferai dictées, copies, mais / qui dicte / vite plus vite / corrige ? // Je meurs du désir d'un désir !». Le corps du langage est ici très proche du corps charnel, qui se libère de ces inhibitions pour, dans le même temps, se heurter à ses propres limites : «l'habit a pris feu / qui marie / mort et vie». Le langage se fait lexique érotique, entremêlement de zones érogènes dans les métaphores du désir et déchant dramatique ou sarcastique dans la crudité initiale de la chair organique. «Nous entendons la voix du sang / qu'étourdis à la barre du ventre», «La zone maintenant est autre, torride / celle des premières heures de l'explosion. / Fleurs discontinues. Un fils / se masturbant». Plusieurs expériences s'imposent et se combinent alors dans la poésie de Neto Jorge. A la densité d'une langue crue, brûlante de désir et de vie, s'allie la tension d'un corps qui subit les assauts du temps et du manque, de la maladie et de l'absence : «poils rides cicatrices / d'une expression double», «Infus dans le corps / quelques chose se rebelle». Expérience d'une crise de l'identité soumise à l'ère du soupçon, en même temps que réalisation expansive d'une sorte d'insurrection du corps, les rumeurs du quotidien et de l'histoire finissent par surgir au sein des poèmes comme le reflet social et massif des perturbations de l'individu. Sans verser dans un engagement de type néo-réaliste, ou dans des poèmes politiques, les références éclatent et font écho : «Il y a un jeu d'éclairs sur le monde», «âme et air otages au-dedans du poumon /.../ Salazar trois fois, dans l'écho de la classe». Les convulsions d'un temps où le langage politique détourne les valeurs du langage poétique viennent ainsi s'ajouter à la recherche individuelle de Luiza Neto Jorge. A la fois conscience féminine de l'écriture (aux côtés d'autres femmes poètes de cette génération, notamment de Maria Teresa Horta), mise en scène érotique qui transgresse les lois du discours poétique traditionnel, invention d'une langue qui se fait chair et résistance engagée à une situation sociale figée en quête d'une nouvelle liberté, cette poésie exemplaire fait certainement de Luiza Neto Jorge une référence de tout premier plan dans la poésie portugaise contemporaine.

Lionel Destremau

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