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 La critique littéraire > Notes de lecture: fr > Mathieu Bénezet

Mathieu Bénezet
Détails/Apostilles
Flammation, 1997
(Prétexte 17)


    vec Détails Apostilles, Mathieu Bénézet «écrit l'écriture», fait paraître «le corps de l'écrit», ainsi qu'il le proposait déjà dans le post-scriptum de Considérations simples Simples considérations, paru l'an passé aux éditions du Rocher. Ce dernier recueil de poèmes couvre, de 1982 à 1997, quinze années d'écriture voyageuse. Les notes et annotations qui constituent l'ouvrage sont en effet minutieusement circonstanciées dans le temps, de même qu'elles sont rattachées à un lieu précis. Cependant la page permet de parcourir des distances fabuleuses : les îles grecques, disséminées selon les hasards de l'écriture, jouxtent Paris, Lisbonne, Istanbul, Marrakech, ou encore la mer Egée, l'Orient embrassant l'Occident par la magie de l'écriture. Un semblable éparpillement touche également la chronologie : le temps n'obéit pas à une perspective linéaire. Découpé, il est remonté selon la temporalité propre au recueil. Ce journal poétique s'ouvre ainsi à la circonstance, entendue comme l'expérience du morcellement et de la pluralisation. Personnages, affects, sentiments, citations sont déconstruits, alors même que la très grande variété typographique du livre introduit la gravité du blanc. Ce dernier n'apparaît pas seulement entre les mots : il s'immisce parfois entre les lettres elles-mêmes. Car ces Détails célèbrent avant tout le signe graphique : poursuivant le jeu avec lÕitalique inauguré par Anne-Marie Albiach dans État en 1971, Mathieu Bénézet marque à son tour de lÕitalique majuscule les termes-clés de ses poèmes. Rêve, Un, Lumière, Jardin, Origine, Langue, Seuil, Erreur, Or, Seul, Fragment, C¦ur, Enfant, Jeu, Rythme, Lettre, Naissance, Ch¦ur, Rien, Femme, Ouvert, Pluie et, bien sûr, Poème, tous ces mots vibrent de cette distinction particulière, étrange et pourtant familière. S'énonce une voix qui sans cesse tremble puis se ressaisit : la ponctuation, les vers irréguliers, l'introduction de signes mathématiques et de chiffres (+, 1, 7), traduisent l'intonation d'une parole coupée, tendue, et constamment confrontée à l'abîme silencieux. La multiplication des barres horizontales, des points en début de phrase, les parenthèses carrées, les guillemets enfin, découpent un timbre qui se cherche en explorant l'espace de la page. Détails Apostilles sonde, plutôt que le monde, ce microcosme qu'est le feuillet, qui joue du blanc et du noir, du plein et du vide, de l'horizontalité et de la verticalité. Ce rectangle blanc fonctionne comme une scène théâtrale sur laquelle les mots et les signes dérapent, gravitent, s'accrochent, vacillent, bouleversant le traditionnel rituel de lecture. Ces derniers ne s'assagissent que lorsqu'ils glissent «entre les lignes» de Pierre Rottenberg, d'Agnès Rouzier ou de Michel Couturier. Par là, ce journal recomposé-décomposé, s'ouvre au dialogisme : des personnages - l'enfant, la femme, les amis, désignés par de simples initiales - prennent vie, d'illustres ancêtres rôdent : «Val», «Mall», «Baud» sont convoqués, et leurs dires, déchirant le présent de l'écriture, donnent le sentiment d'une conversation que la mort même ne peut interrompre.
    Cette mobilité des lieux, des voix, des espaces de l'écriture exige une lecture quasi flottante, accompagnant le poète dans un voyage qui le mène jusqu'à la passion, la souffrance, la folie, la blessure et la mort. Ce sont en effet ces noirs continents que les mots de Mathieu Bénézet tentent d'approcher, provoquant alors une émotion qui rappelle celle du Pascal du Mémorial, car c'est aussi d'illumination qu'il est question dans certaines pages, comme lÕindiquent les titres de la table des matières : «Verse un salut», «Je ne sais illuminant», «la bouche brûle», «cette floraison, comme on sens va», retracent des expériences et des révélations qui touchent (à) des régions presque mystiques. La solitude extrême de la langue, comme l'extrême solitude de l'individu, attirent inexorablement l'auteur de Ceci est mon corps, et de L'Imitation de Mathieu Bénézet.

    Anne Malaprade



    Mathieu Bénezet cf.notice de l'auteur

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