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 La critique littéraire > Notes de lecture: fr > Christophe Bident

Christophe Bident
Maurice Blanchot, partenaire invisible
Champ Vallon, 1998
(Prétexte 20)


    our reprendre une expression désormais fameuse, il semble plus que jamais évident que l'époque actuelle dispose d'un "droit d'inventaire" sur l'Šuvre fascinante de Maurice Blanchot. De fait, c'est de ce droit dont semblent vouloir faire usage ceux des critiques qui collaborent ou ont collaborés aux nombreux numéros de revues consacrés ces deux dernières années à l'auteur de L'espace littéraire1. Floraison qui témoigne, s'il en était besoin, de l'actualité de son Šuvre. Mais un droit d'inventaire qu'est-ce à dire quand le discours critique ne s'intéresse qu'aux compromissions politiques du journaliste Blanchot avec la presse d'extrême-droite, n'examinant jamais l'actualité de l'Šuvre littéraire ? Une étude manque peut-être qui analyserait les effets pervers de l'Šuvre monumentale ou essentielle de Blanchot ­ en rapport à la résignation de certains écrivains contemporains. «Le signe comme vecteur de l'absence» : peut-être Henri Meschonnic est-il le seul et le premier à tenter de dénoncer cette orientation-là de la pratique littéraire2. Et peut-être un équivalent des Fleurs de Tarbes est-il ainsi aujourd'hui nécessaire qui dénoncerait une autre «terreur dans les lettres». En espérant que cela ne reste pas un vŠu pieu tant il semble nécessaire de décomplexer l'écrivain français, il convient de lire en attendant l'essai de Christophe Bident. Essai biographique surprenant en regard du silence et du retrait de Blanchot dont la notice biographique tient à l'ordinaire en deux lignes : «Sa vie est entièrement vouée à la littérature et au silence qui lui est propre». Cette vie, Christophe Bident s'efforce, six cents pages durant, de la tirer en pleine lumière. L'ambition du chercheur est extrême qui entend «écrire ce mouvement incessant de l'écriture à la vie, de la vie à l'écriture (É) hors tout imaginaire, dans l'attention toujours portée au nom de l'autre». En regard de la polémique déclenchée par une universitaire américaine il y a quelques années et dont Bruno Roy ­ l'éditeur de Fata Morgana ­ a voulu se servir il y a deux ans comme d'un moyen pour faire taire Maurice Blanchot3, cet "essai biographique" devait exister un jour. A ce point de vue, l'étude de Christophe Bident est essentielle ; l'impressionnant travail de recherche entrepris par l'auteur lui permet en effet de dénouer les points de crispation autour desquels la polémique s'est épuisée. Christophe Bident a su redonner aux années 30 leur complexité, en montrant notamment des patrons de presse juifs financer et diriger des journaux d'extrême droite et en redessinant, ce faisant, la carte de certaines amitiés transversales entre juifs et nationalistes furieux. Ces amitiés ne furent donc pas le seul fait de Blanchot et Lévinas4 mais bien une manière de trait d'époque, tout entière régie par ce que d'aucuns appellent une "inconséquence" fondamentale et qui n'était en fait que la conséquence d'une autre exigence qui unissait ces esprits, quelque chose comme un aristocratisme de la pensée qui passait outre toutes les recommandations politiques. C'est ainsi que Blanchot, Maulnier et d'autres parlèrent dans leurs chroniques de livres qu'a priori l'extrême-droite ne pouvait que vouer aux gémonies, dénonçant, sur le plan politique cette fois, et ce dès 1934, la montée en puissance de l'Allemagne nazie. Dénonçant en 1941 dans un journal maréchaliste la politique de Vichy en matière de théâtre, dénonçant «l'étrange fatigue d'esprit» de conservateurs soucieux d'un strict respect des formes artistiques, portant le paradoxe jusqu'à «revendiquer la modernité [d'un Bazaine par exemple] au nom du classicisme». La part proprement historique du travail de Christophe Bident n'est évidemment pas sans renouveler la compréhension que l'on pouvait avoir du parcours de Blanchot et de l'effacement de l'écrivain qu'il a, dans toute son Ïuvre, tenté d'expliciter et de défendre comme étant la seule posture possible ; c'est un des points les plus mal compris des essais de Blanchot. Jusqu'à ce jour, aucun des commentateurs de Blanchot n'était en effet parvenu à faire coïncider en une seule personne l'écrivain en retrait et l'intellectuel engagé qui fut un des rédacteurs du Manifeste des 121. A contrario, Christophe Bident parvient à retrouver un seul homme derrière ces deux que les commentateurs distinguaient. Faisant retour au Livre à venir, il rappelle que : «la littérature appartient à une région "où la morale se tait" (Blanchot). Cette région ne l'exclut pas du monde : l'irresponsabilité de l'écrivain ne le met pas à l'abri du jugement social. "Qui se heurte, en écrivant, à une vérité qu'écrire ne pouvait respecter est peut-être irresponsable, mais doit d'autant plus répondre de cette irresponsabilité [É] : l'innocence qui le préserve n'est pas la sienne ; elle est celle du lieu qui l'occupe et qu'il occupe fautivement, avec lequel il ne coïncide pas"5». C'est ainsi qu'au contraire de ceux qui l'ont mal lus, Blanchot n'a jamais fait découler d'une certaine auto-référentialité de l'Šuvre d'art son étrangeté au monde, la «parole neutre» n'entraînant pas «la neutralisation de la question politique». Où l'on découvre, à la suite de Christophe Bident, que c'est probablement à tort que l'on a fait de l'auteur de L'espace littéraire une manière d'anti-Sartre. Mais si cet essai vaut par ce que l'on vient de dire, certaines pages agaceront peut-être le lecteur "familier" des Šuvres de Blanchot (et Derrida à sa suite) pour ce que ces pages accumulent jusqu'à plus soif les jeux de mots, les oxymores et les formulations paradoxales. Or ceci ne saurait être interprété comme un simple faux pas. Ces tics d'écriture ne font que signifier au lecteur, par dessus l'épaule de son auteur, que cet essai n'est pas le lieu de cette discussion attendue (l'inventaire dont on a parlé). Comme si l'on ne pouvait parler de l'Šuvre de Blanchot sans distance critique, comme si le style, exerçant une fascination de laquelle il serait impossible de se déprendre, entérinait l'inscription de l'Šuvre dans un rapport hypnotique au lecteur. Cette absence de distance est, bien entendu, problématique ; les outils employés par Christophe Bident pour parler des récits de Blanchot sont ceux-là mêmes que Blanchot a forgés6. Où l'on espérait un regard critique, on se trouve en fait confronté à un texte qui s'essaye à trouver dans les récits le mouvement des textes étudiés par Blanchot lui-même dans ses essais. A citer les essais de Blanchot pour en expliquer les fictions, le texte de Bident tourne très vite à la pétition de principe, accumulant sans les discuter, des assertions qui nécessiteraient précisément de l'être (discutées)7. Pour n'avoir pas tenté une approche critique de la fascination exercée par l'Šuvre de Blanchot (approche qui eu pu préserver l'espace propre de cette fascination), le livre de Christophe Bident pose problème. Cependant, et c'est son grand mérite, il permet que le débat s'ouvre maintenant sur une base solide ­ l'étude des impasses dans lesquelles il s'est engagé étant peut-être la seule réponse en acte que l'on puisse faire au chercheur, la réponse la plus respectueuse de son travail s'entend.


    Arnaud Bertina

    Notes
    1 Réédition en Novembre 1997 du numéro de la revue Critique consacré en Juin 1966 à Blanchot ; Ralentir Travaux n°7 (hiver 1997) ; L'Šil de bŠuf n°14-15 (printemps 1998) ; ainsi que les nombreux ouvrages parus ces derniers mois parmi lesquels nous citerons entre autres ceux de Jacques Derrida, Roger Laporte et Philippe Mesnard.
    2 Notamment dans Poétique V aux éditions Gallimard.
    3 La Quinzaine Littéraire datée du 1er Nov. 1996 (relayée par le Monde et les autres quotidiens) fait état des échanges entre Fata Morgana et Maurice Blanchot, ce dernier demandant à Bruno Roy de choisir entre lui et Alain de Benoist, nouvellement publié par la maison d'édition.
    4 Amitié qui remonte à 1927 et sur l'authenticité de laquelle ne saurait donc peser les "soupçons" que certains font peser sur le "philosémitisme" de Blanchot après guerre (qui détermina peut-être pour une part sa découverte de l'Šuvre d'Edmond Jabès).
    5 Le livre à venir, Folio essais n°48, p.42.
    6 Dans Critique de la critique (Seuil, 1984, p. 66-74), Tzvetan Todorov a montré tout ce que cela a de problématique : «toute tentative pour interpréter Blanchot dans un langage autre que le sien semble frappé d'un interdit imprononcé ; l'alternative devant laquelle on se trouve amené paraît être celle-ci : admiration silencieuse (stupeur) ou imitation (paraphrase, plagiat)». Christophe Bident lui-même propose une piste lorsque p. 307 de son essai il montre en quoi les textes critiques de Blanchot tiennent du journal intime de «l'écrivain idéal» - c'est-à-dire soustrait à la logique de lÕessai et achoppant peut-être à quelque chose d'indiscutable. Ici Todorov à nouveau : «affirmer simultanément A et non-A, c'est mettre en question la dimension assertive du langage et, effectivement, tenir un discours au-delà du vrai et du faux, du bien et du mal» (p.72).
    7 Comme celle-ci (entre autres) : «L'écriture de Blanchot se referme, comme cette nuit, sur un monde qui n'appartient qu'à elle, qui n'appartient qu'à la littérature» (p.208). Extension-réduction qui, à mon sens, mériterait d'être discutée.


    Christophe Bident cf.notice de l'auteur

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