Frédéric Castaing | Ca va ? Ca va... et J'épouserai plutôt la mort Gallimard, série noire, 1994 et 1996 (Prétexte 12) |
rédéric Castaing est, à la ville, expert en manuscrits autographes, ceux du XVIIIe siècle. Le soir, pour se divertir ou pour prolonger son activité, il écrit des romans que le hasard et son talent ont destiné à la publication. Le premier, J'épouserai plutôt la mort, raconte la cavalcade à laquelle donne lieu l'existence présumée de manuscrits autographes de Molière. Ce qui pourrait donner libre cours à l'érudition la plus aride fait l'objet d'un traitement voltairien : un Candide, Martin, de son état «enquêteur-pour-un-reality-show» (les temps changent), est chargé de les retrouver, accompagné et rejoint malgré lui dans cette entreprise par tout ce qu'une société peut compter de plus désaxés, où l'on croise des barbouzes non identifiés et des raisons d'État viciées, dans une course-poursuite dont le mercantilisme n'a d'égal que la méchanceté. De même, dans le deuxième roman, Ça va ?, ça va, on fait la connaissance de Pascal, «héros» aussi égaré qu'amnésique, mais qu'un passé lourd de conséquences s'acharne à rattraper : un ancien CRS à la mémoire fuyante ne peut être qu'une gêne pour un commissaire ambitieux, surtout lorsque le premier a été le témoin du crime raciste dont le second est l'auteur. Alors, face à des questions de mémoire et d'oubli, de patrimoines littéraire et éthique, les protagonistes de ces romans parlent. Ça a commencé comme ça. Eux, ils n'avaient rien demandé. C'est Frédéric Castaing qui les a fait parler, pour savoir comment tout a commencé. Quelle est l'origine ?, se demande l'écrivain. Oui, quelle est-elle ?, répondent en écho Martin et Pascal l'amnésique («Qu'est-ce que c'est le début ?» est la première phrase de J'épouserai plutôt la mort), comment tout ce bordel a-t-il pris naissance ? Frédéric Castaing fait parler deux Candides, les fait témoigner pour jeter un regard ironique sur une situation bête à pleurer. Sûr de ses moyens et de techniques caractéristiques du XVIIIe siècle, il présente des récits distanciés homodiégétiques, mémoires niant tout d'abord la commune identité narrateur-personnage, roman introduit par un anonyme. Parce que, de «son côté, l'auteur se pose la question du comment raconter, comment organiser le monde pour en rendre compte, Frédéric Castaing trace alors des intrigues comme autant de fuites en avant, vers l'abîme, des courses-poursuites effrénées qui vont de mal en pis, de mésaventures en catastrophes. Ce sont là les tapis qui glissent sous les pieds de l'auteur qui les tissent, suspendus heureusement au-dessus du gouffre par une fausse candeur qui suscite très souvent un humour bienvenu. A la lecture, la modestie apparente des projets narratifs dissimule un vrai talent de conteur. On rit, beaucoup, sans doute pour oublier (?) la portée des histoires, laquelle apparaît une fois le livre achevé et posé dans une bibliothèque, quelques heures ? jours ? semaines ? après la lecture. Yann Martin Frédéric Castaing cf.notice de l'auteur
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