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 La critique littéraire > Notes de lecture: fr > Enzo Cormann

Enzo Cormann
Diktat
et
Toujours l'orage

Minuit, 1995 et 1998
(Prétexte 4 et 17)


    1/Diktat

    «Débat sans fin. Deux gamins qui se jettent à la figure les clichés politiques hérités de leur père» plantent le dialogue-décor de cette nouvelle pièce d'Enzo Cormann. L'un est l'exilé, présumé mort depuis 25 ans, de retour au pays ; l'autre, le demi-frère resté là-bas après une guerre civile meurtrière, brillant psychiatre devenu politicien. Alors se déroule sous nos yeux un face à face aussi absurde que grandiose : absurde dans le sens de Beckett, tels un "Estragon croate" et un "Vladimir serbe" enfin retrouvés et qui se jetteraient à la figure leur "vérité", avant de se rendrent compte que «la vérité ne nous est d'aucun secours, [que] c'est la fiction qui nous sauve» ; grandiose, dans la joute langagière de ces demi-frères Ñun dialogue comme un monologue double, où deux peuples, deux ethnies, deux moitiés d'humanité se confrontent, ne font bientôt qu'une, dans cette fiction que la réalité finit pourtant par abattre. Ici, le dérisoire fait mal, l'identité vacille sur des bases que l'on croyait solides, dans une langue souple, proche des dialogues cinématographiques, semblant tout aussi menaçante que menacée. Le temps non plus ne parvient pas à se fixer : flash-backs, projections, discours face au public donnent à cette pièce l'intemporalité nécessaire à la puissance d'une tragédie. Cormann nous donne à lire une belle, une très belle pièce, dont la création théâtrale s'est faite en mars à Nantes et qu'il ne faudra pas manquer d'aller voir lorsqu'elle se jouera dans votre région.

    L.D.

    2/Toujours l'orage

    «A présent, vous venez, réclamant de la vie, comme jadis de la présence, confondant comme toujours la chair et le squelette, réclamant à grands cris de la bouffe, quand votre problème est de toute évidence la boulimie»...
    Comme souvent chez Enzo Cormann (voir certaines de ses pièces précédentes, Credo, Le Rôdeur, Diktat...) un couple de personnages, un huis clos et donc un dialogue, suffisent à constituer la trame serrée d'une pièce intimiste et cruelle. Theo Steiner est un vieux comédien qui s'est retiré de la scène voilà plus de vingt ans et qui vit reclus dans une ferme, coupé de tout et de tous. Débarque Nathan Goldring, un metteur en scène quadragénaire, futur directeur de la Neue Bühne de Berlin, qui sÕest mis en tête de faire remonter Steiner sur les planches pour jouer Lear. S'engage alors une bataille de mots, ponctuée de citations de Shakespeare, où l'humour, l'ironie, le cynisme, la dureté de ton et pour finir le drame vont se tailler la part belle. Entre les deux hommes, - une génération, des expériences, des points de vue différents les séparent - va finir par se tisser une étrange et désespérante complicité où l'abjection de soi et la mort rôdent à chaque parole prononcée : «Une seule scène, et un seul acteur /.../ Tout ceci n'est qu'approche, difficile et lente et déprimante approche d'une sensation d'autant moins approchable qu'elle est tissée d'instants épars, ponctuant ci et là trente années d'existence, d'instants épars qui s'éclairent mutuellement, ou se masquent, s'informent, s'infirment, s'imbriquent, se mêlent, d'instants épars qui bégayent, déclinent la même vision, le même aveuglement devrais-je dire, la même horreur de soi, en définitive /.../» dira Steiner.
    A l'origine du différend se situent l'abandon du théâtre par Steiner en plein milieu d'une représentation et, à l'inverse, les derniers espoirs de Goldring remisés dans un théâtre qui lui fait oublier ses tristes incapacités à mener sa vie. Et au centre du débat : la judéité - pour l'un, Goldring, non assumée, voire rejetée - pour l'autre, Steiner, une expérience effroyable lorsque, dans le camp de Terezin en 1943, il a signé de sa propre main, sous la contrainte, la déportation de ses parents à Auschwitz. Ce qui l'a sauvé : les goûts éclairés pour le théâtre d'un officier SS qui voulait de lui pour une représentation. «Le chien de Dieu est né à Terezin, seuil de l'enfer».
    Revisitation de Shakespeare, cruelle méditation sur l'histoire et le génocide juif, féroce partie d'échecs langagière entre deux hommes, Toujours l'orage est aussi l'occasion pour Cormann de poursuivre une thématique présente tout au long de son Ïuvre : une méditation sur le pouvoir des mots dans un théâtre de l'existence humaine si effrayant qu'aucune Ïuvre d'art, qu'aucun comédien ne semblera jamais pouvoir racheter les fautes qui y sont commises.

    Lionel Destremau


    Enzo Cormann cf.notice de l'auteur

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