Liliane Giraudon | Parking des filles P.O.L, 1999 (Prétexte 20) |
oète et nouvelliste, Liliane Giraudon nous avait déjà raconté comme Les Animaux font toujours l'amour de la même manière. Cette fois-ci, elle nous livre cinq récits regroupés sous l'appellation de "Nouvelles", composé chacun de deux chapitres qui obéissent à chaque fois à la même découpe : l'histoire ("Les deux amies", "L'essayage", "Toast", "L'été des femmes", "Les griottes") est suivie de sa stoire, néologisme qui désigne ici une autre version de la même histoire, ce bout de mot renvoyant à un morceau anecdotique, à un éclat fabulateur du récit antérieur. En effet dans "Le sexe creux", "Actéon", "Chachacha", "Épitomé", "Les lys", c'est un autre point de vue qui prend en charge l'épisode ou le conflit racontés. Ces variations narratologiques introduisent le doute et l'incertitude ; on a quelquefois l'espoir de mieux comprendre, en fait ce nouvel éclairage brouille les faits et gestes des personnages, et opacifie les motivations de leurs actes. En effet, les héroïnes de ces nouvelles se conduisent toutes de manière excessivement énigmatique : enfants, adultes, filles, femmes, instables et déplacées, elles fuguent, tuent par passion amoureuse, voyagent, fuient, écoutent le silence et l'absence, écrivent, souffrent. Leur destin est le plus souvent tragique : mort, exil, solitude, incertitude. Objets des hommes ou des autres femmes, manipulées, ces jeunes femmes sont parquées, comme l'indique le titre du recueil - Parking -, que ce soit à Moscou, Marseille, La Havane, ou dans un lieu incertain tel un hangar, une berge, une cabane ou un terrain abandonné. Elles ont pour point commun de vivre, comme l'indique la quatrième de couverture, "de sales histoires", qui ne sont pas "des histoires sales" : la souillure est le plus souvent invisible, leurs corps ne gardent pas de trace de la prostitution, du viol et de la souffrance. Sales histoires ? En effet Pauline, Sarah, Alvina, Kika, Solita, Léa, sont à la fois victimes et bourreaux, esclaves et maîtresses, saintes et folles. Éprises d'absolu, elles rencontrent, au terme de leur fuite, l'étrangeté du sacré : Sarah demande à Bill de lui sculpter Ganesh, ce dieu à tête d'éléphant, la narratrice de la nouvelle intitulée "L'essayage" se fait composer une chasuble par Alvina, Kika entend, au cours de son séjour à Cuba, des voix singulières ("Avancer dans le vide enseigne la marche", "La somme des corps du corps que nous sommes", "Par-fois-un-nègre-de-ve-nu-fou-se-jette-la-tête-la-pre-miè-re-dans-un-chaudron. Mê-me-ses-os-sont-trans-for-més-en-su-creé", "Si je ne travaille pas ils me tuent. Si je travaille ils me tuent."), Solita communique avec Vladimir, pourtant mort, l'héroïne de la dernière nouvelle, éLes griottesé, est violée par un groupe d'hommes dont l'un finit crucifié : "Le garçon n'avait plus de visage et reposait sur le dos, les bras en croix". Mais de lange à la bête, il n'y a qu'un pas : ces filles, entourées de chiens, sont dévorées par le désir de l'autre, déchiquetées par leur propre pulsion de mort : "Nous nous tuons nous-mêmes, nous nous étouffons nous-mêmes entièrement seuls et nous demeurons les principales victimes de notre mal intérieur bien plus dangereux que l'autre, tous les autres". Chassées et chasseuses, inspirées et inspiratrices, ces jeunes femmes, qui vivent dans la parole ou le silence, affirment à la toute fin du recueil ce qui est à la fois leur identité et leur raison d'exister, leur présent et leur corps : "Nous, avec la totalité de notre langage, sommes l'inspiration du temps et du lieu où nous nous trouvons".
Anne Malaprade Liliane Giraudon cf.notice de l'auteur
|