Jean-Marc Ligny | L'autre hémisphère du temps Gallimard, coll L'un et l'autre, 1995 (Prétexte 8) |
omme jadis les voyageurs de la Renaissance, nous allons faire un immense détour que justifient quelques lignes au début de ce livre. Un poète aveugle, parce qu'il était "délivré de toute circonstance", a pu résumer en un chant des siècles obscurs et incertains, déjà très éloignés de son époque ; en ce sens, "c'est aujourd'hui qu'il faudrait écrire une odyssée" pour relater la naissance de notre monde, autour de l'an 1500, et des figures emblématiques qui l'ont créé malgré elles - Vasco de Gama, Colomb, Magellan. Et si Gérard Macé se fait le chantre de cette période, c'est avec modestie, plus pour déclarer son incapacité à accomplir le tour de force d'Homère que pour instaurer une rivalité, puisque "/.../ le vers est devenu un travail de galérien, la prose est sans retour". Comme il s'inscrit dans une tradition des biographies brèves et fragmentaires, l'ouvrage de Gérard Macé épouse les contours d'un genre classique. Mais en jouant avec l'ambiguité des souvenirs, collectifs et individuels, il en ruine habilement les fondements de l'intérieur - ainsi les faits sont-ils restitués dans la fugacité de leur existence, incertains de leur devenir. Car ce qui intéresse essentiellement Gérard Macé, d'une page à l'autre, c'est moins la vie des autres, les péripéties, que les raisons secrètes qui génèrent l'instinct de création, de découverte. Cette traversée de notre histoire qui s'effectue à mi-chemin entre la prose (les nombreuses anecdotes, les réflexions) et la poésie (le travail sonore : "/.../ que nous commémorons sous le nom d'Homère") cache son (en)jeu jusqu'au bout ; il faudra en effet attendre les dernières pages pour comprendre que le temps, ce grand tricheur, est la cause de tout : des pérégrinations des navigateurs, de leurs déconvenues, et d'un mystère qui nous fascine, celui de la naissance du roman. Jean-Christophe Millois
Gérard Macé cf.notice de l'auteur
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