Christophe Tarkos | Oui Al Dante, 1997 (Prétexte 12) |
TARKOS / TARKOS
Il n'y aura donc jamais d'Ïuvres complètes de Christophe Tarkos. Il conviendrait sans doute d'évoquer à propos de Tarkos la théorie de la pâte-mot, ses écholalies et répétitions, la façon si singulière qu'a son écriture d'épuiser le mot dont elle se saisit, de l'accommoder tour à tour sujet, verbe, complément, de l'adjectiver,... L'enjeu cependant d'une telle pratique d'écriture est ailleurs, moins en ce que Tarkos donne à lire qu'en ce qu'il n'écrira pas. Des quelques livres qui commencent à paraître ici et là, Oui est le premier qui propose comme une théorisation du travail que nombre de revues depuis un certain temps déjà publient. Si les textes de Tarkos ont pu être dits formalistes ou littéraux (éloquents titres des compositions courtes : Le balai, Le ballon, Le zinc, ...), leur inscription dans un recueil contraint peut-être à lire au-delà de la seule littéralité. Oui : une succession ininterrompue de textes, un irrépressible flot verbal s'extravasant sur toute la page. Les poèmes s'y suivent sans rupture autre que typographique (variations du corps des lettres) ou par le biais d'énigmatiques et gigantesques OP OP. Pas de blanc donc, ou si peu, rien de la propreté de l'immaculable recueil de poésie ; la singulière mise en page qui rythme, syncope, aussi bien l'ensemble du recueil que chacun des textes, l'impulsion signifiée, soulignent d'emblée l'un des aspects essentiels de la poétique de Tarkos : son infinibilité. En effet, aucun poème de Tarkos ne peut être considéré comme achevé et rien n'y a jamais lieu qui justifie qu'il s'arrête ici plutôt que là. Comme si le poème ne prenait fin qu'en raison de considérations strictement extérieures à son avoir-lieu. Par là même est immédiatement et constamment lisible dans Oui le fantasme du Livre tarkossien qui n'aurait d'autre sysiphienne fonction que d'imprimer à la langue des poussées, d'en mettre en branle l'horripilante inertie. La langue souffrant d'une amorphie telle qu'elle empêche de dire la vérité, le travail d'écriture consiste à lui interdire toute fixité, condition sine qua non pour que de l'infinie ondulation la vérité, car c'est là le propos, s'oie. La langue ne peut dire la vérité qu'en étant elle-même toujours en mouvement. La vérité de Tarkos sourd donc non d'une illusoire adéquation de la langue à ce qui est (le Oui au monde précède l'écriture), mais d'une perpétuelle surenchère de la langue, d'une surlittéralité nécessairement insatisfaite de l'état en lequel elle finit forcément (mais à quel terme ?, cf. F et Le compotier, de chacun 14 pages, évidemment inachevés) par abandonner la partie. La vérité ici énoncée est sue toujours à réitérer plus loin, plus tard : «Tu tiens sur tous les fronts à la fois, tu ne t'es pas laissé faire (...) on voit bien que tu tiens sur tous les fronts et que tu peux encore attaquer (...) Car, après tout, ta position est tenable / réelle / sensible / pertinente car, après tout, ta position est la position qu'il était possible de conserver» Au-delà de l'adhésion joyeuse au monde, au-delà du poème comme poème nécessairement de dehors, Oui ne constitue finalement que les fragments d'une Ïuvre qui n'aura, en raison même du projet, pas lieu. Peu importe : l'essentiel dans Oui étant la valeur d'exemplarité qu'y obtient chaque texte. Dès lors, «Le poème est le moyen pour faire la révolution», parce qu'inachevé (inachevable), il initie à une vérité parcellaire dont la généralisation demeure, puisque de l'ordre de l'utopique, de celui du possible. Le poète, lui, a fait ses preuves, concédant-refusant à l'écriture une littéralité fugace, conscient de ne pouvoir figurer qu'en moins dans ce qu'ils appellent poésie. Bertrand Verdier Christophe Tarkos cf.notice de l'auteur
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