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 Les entretiens > Entretiens éditeurs > Jean-Pierre Sintive

Jean-Pierre Sintive
Editions Unes - Prétexte 16


Revue Prétexte : Une question rituelle tout d'abord, bien qu'il ne s'agisse pas ici de faire un historique exhaustif, mais bien plutôt de parler d'impulsion, de désir, de littérature en somme : qu'est-ce qui a motivié la création des Editions Unes ?

Jean-Pierre Sintive : C'est assez simple, c'est parce que je ne trouvais pas en librairie les livres dont je rêvais que j'ai essayé de les imaginer puis de les réaliser et les donner à lire. J'aimais fortement la littérature mais il y avait comme un manque, surtout en poésie. Vers la fin des années 70, j'en lisais beaucoup (je raconte cela dans le N°6 de la revue Banana Split) et commençais une correspondance avec des auteurs comme Jean-Louis Giovannoni, Charles Juliet et Bernard Noël. J'écrivais un peu aussi, imprimais des petits livres sur une presse Freinet dans une école. Ces premiers essais, auxquels je tente d'apporter le plus grand soin, procurent immédiatement le plaisir en donnant corps à de la pensée. Ils sont tous offerts aux amis. Faire partager mon plaisir est le seul désir et cela n'a pas vraiment changé. Pour l'accroître, je fais l'acquisition d'une presse typographique, de caractères en plomb et effectue le tour des Moulins à papier. L'aventure commence. La date de création des Editions Unes remonte à décembre 81 avec un premier titre : Le Visage volé de Jean-Louis Giovannoni (une évidence, après la lecture de son unique livre Garder le mort paru en 75 !) une fidélité aussi puisque 17 autres livres ont paru depuis. Suivent des poèmes de Bernard Lamarche-Vadel, Claude Margat, Roger Giroux et Bernard Noël. Seize ans plus tard, 180 ouvrages ont été publiés et je peux dire ici que le plaisir de faire un nouveau livre sur ma presse ou chez un imprimeur (typo) est toujours aussi vivant. Les projets sont nombreux et 98 sera une année riche en nouveautés : Valérie-Catherine Richez, Pierre Magnenat, Jean-Pierre Milovanoff, Franck André Jamme...


RP :
Dans le cadre de ce dossier consacré à Bernard Noël, auteur que vous appréciez particulièrement, qui a fait partie des débuts de Unes et dont vous venez tout juste de publier trois nouveaux livres : Où va la poésie ?, Vers Henri Michaux et Correspondances (la correspondance complète avec George Perros), pourriez-vous nous parler, en tant qu'éditeur comme en tant que lecteur, de votre rencontre avec Noël, avec son oeuvre ?

J-P. S. : Bernard Noël est l'homme dont je peux dire que la personne et l'oeuvre ne font qu'une(s) et qu'il a su avec une incroyable force me communiquer sa passion de l'écriture et de l'édition à travers mon travail. Dès 1978 il m'encourage à écrire, me publie dans Les Cahiers de Mauregny l'année suivante, entretient une correspondance régulière en y joignant ses publications et nous nous rencontrons finalement à Toulon lors d'une exposition de Colette Deblé. Moment décisif par la chaleur et le plaisir partagé de se connaître. Lettres, échanges et rencontres se multiplient. Nous parlons de ses écrits que je suis avec une grande attention (mon enthousiasme pour Extraits du corps et Le 19 octobre 1977), de la vie, de nos lectures et aussi du désir de faire un livre ensemble ; avant même l'existence de Unes, je lui demande des poèmes que je voulais publier avec des lithographies de Bram Van Velde (malheureusement décédé cette année là). Je me souviens avec une émotion présente de l'envoi en octobre 82 de son premier manuscrit : Fable pour cacher que je publie avec fougue pour le 19 novembre, date commune de son anniversaire et de la personne à qui le livre est dédié. Un grand format de 32 pages composé au plomb et cousu main, tiré à 299 exemplaires sur beau papier avec des peintures originales de Serge Plagnol au fil des pages. Depuis, nous marchons ensemble et chaque année voit la naissance d'un nouveau livre que je sollicite toujours avec le même plaisir. Il en est de même pour les traductions : il y joue un grand rôle (Bisutti, Stevens, Eliraz...). Je considère son oeuvre multiple comme la plus importante de ces quarante dernières années et trouve la reconnaissance bien tardive dans le pays de Jean-Pierre Coffe et d'Alexandre Jardin !


RP :
Depuis un peu plus de seize ans maintenant les Editions Unes publient nombre de poètes contemporains, tant français qu'étrangers. Outre quelques noms qu'on ne présente plus (Auster, Carlos Williams, Celan, Du Bouchet, Frémon, Giovannoni, Juarroz, Noël, Oppen, Pessoa, Porchia, Valente, etc..., la liste, au regard de votre impressionnant catalogue*, serait encore longue) vous poursuivez le travail de découverte de tout éditeur qui se respecte en publiant un certain nombre de «jeunes» auteurs. Dans quelles circonstances publiez-vous tel ou tel manuscrit ?

J-P.S. : J'aime cette question que l'on me pose souvent de différentes manières. Je peux déjà répondre que les lieux géographiques, aussi bien le mien (Draguignan, dans le Var) que celui des auteurs (quels que soient leur pays, leur langue) n'ont aucune incidence sur mes choix de publication ; c'est à l'essence même du texte (ou de sa traduction) que je me détermine. Je réagis de la même façon pour l'âge ou la renommée d'un auteur. Dans les salons du livre, que je fréquente depuis peu, on me demande souvent si je ne publie que des écrivains reconnus en me citant Auster, Giovannoni, Jourdan, Juarroz, Pessoa, Valente..., c'est peut-être le plus beau compliment que l'on puisse entendre car pour chacun d'eux, publiés chez Unes entre 81 et 85, il s'agissait des tout premiers ouvrages parus en France. Ce n'est que plusieurs années ensuite que des éditeurs plus importants se sont «mobilisés». Les cas d'Auster et de Pessoa étant les plus significatifs. Cela me dérangeait au début mais plus à présent. Je préfère le rôle de passeur à celui de marchand ou de racleur de fond de tiroir. Un auteur auquel personne ne croyait qui connaît une diffusion plus importante et rencontre de nouveaux lecteurs : quelle plus grande satisfaction ! Je ne pense pas être un vrai éditeur mais une personne qui fait des livres pour constituer sa propre bibliothèque et tant mieux si mes goûts sont partagés. Le plus grand plaisir reste celui de la découverte d'un nouvel auteur (jeune ou non) et de publier un premier livre dont on devine l'oeuvre à venir ; je l'ai fait plusieurs fois (Courtade, Degroote, Fabre G., Golovine, Lecomte, Ostende, Piekarski, Ramos Rosa, Valente, etc...) et le ferai encore prochainement en suivant ces auteurs. Comment se fait le choix ? Très vite, à la première lecture. L'enthousiasme doit porter aussi haut qu'à la lecture des auteurs que j'aime. Cela est très rare, tout au plus un manuscrit par an, alors que j'en reçois un par jour !


RP :
Enfin, peintres, photographes ou plasticiens s'associent régulièrement aux livres que vous publiez. Au choix du papier (et ses variations possibles), de la composition et de la finition du livre s'ajoute ainsi, pour reprendre des mots de Bernard Noël, "un espace qui, tout en étant de papier, /.../ environne de présence" les doutes de l'auteur, l'illustration rehaussant, accompagnant le plaisir de l'oeil et son implication dans la lecture. Comment s'effectue, lors de la préparation d'un livre (vous diriez «faire» un livre et non pas «fabriquer» un livre), le choix des illustrations ou des vignettes de couverture ?

J-P. S. : J'espère ne pas avoir placé d'«illustrations» dans les tirages de tête des Editions car je rejette ce mot tout comme le terme de «livres illustrés». Il faut que les interventions des artistes soient une véritable complicité, qu'il y ait partage, rencontre, et que naisse une nécessité. Colette Deblé, dont l'important travail au cÏur même des livres est d'une parfaite adéquation, écrivait dans le catalogue «Editions Unes : des livres singuliers» : J'aime ces longues histoires d'amour à trois (auteur-éditeur-peintre), qui passent par la reconnaissance du travail de l'autre, le font vivre et exister, pour l'inscrire dans la logique du temps... Nous travaillons ensemble depuis le début et j'essaie de mettre cela en pratique le plus souvent possible. Pour certains ouvrages, je ne sollicite personne car je ne pense pas qu'un plasticien apporterait quelque chose de plus : c'est le cas d'ouvrages de Huidobro (Altaigle), de Pessoa (Ultimatum) ou de George Oppen par exemple. Il en est de même pour les vignettes de couverture qui sont réalisées spécialement pour chaque livre. Là aussi, les projets sont nombreux et des ouvrages avec les artistes Frédéric Benrath, James Brown, Fred Deux, Magali Latil, Jaume Plensa, Cécile Reims... verront le jour prochainement.

Propos recueillis par Lionel Destremau. Jean-Pierre Sintive a répondu à cet entretien par écrit.

* Catalogue sur simple demande à Editions Unes - B.P. 205 - 83006 Draguignan cedex. Les Editions Unes sont diffusées en librairie par Les Belles Lettres.


Jean-Pierre Sintive cf.notice de l'auteur

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